En Tunisie, la crise du parti au pouvoir profite aux islamistes

Affaibli par une guerre de chefs, Nidaa Tounès est condamné à renforcer son alliance avec Ennahda

Une forte secousse est en train d’ébranler la scène politique tunisienne, ouvrant la voie à une recomposition dont les contours sont à ce stade incertains. Le parti dominant le gouvernement à Tunis, Nidaa Tounès, est en train de perdre son statut de premier groupe parlementaire à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), au profit de son ancien rival devenu partenaire, le parti islamiste Ennahda.

La stabilité de la «transition tunisienne», célébrée avec emphase à l’étranger comme l’a illustré l’attribution récente du prix Nobel de la paix, ne devrait pas en souffrir à court terme. Mais l’inquiétude sourd pour le long terme. «Le processus pluraliste en Tunisie vient de prendre un coup», commente, amère, Bochra Belhaj Hmida, députée dissidente de Nidaa Tounès.

Cette nouvelle donne trouve sa source dans la violente crise de succession semant la zizanie au sein de Nidaa Tounès, le parti qui avait gagné les élections législatives d’octobre 2014 sur un programme «moderniste» anti-islamiste. Furieux de la prise de contrôle de l’appareil par Hafedh Caïd Essebsi, le propre fils de Béji Caïd Essebsi (88 ans), fondateur du parti et élu chef d’Etat fin 2014, 28 élus à l’ARP ont annoncé ces derniers jours leur démission du groupe de Nidaa Tounès.

«Nous ne pouvons pas accepter le hold-up sur le parti mené par un petit groupe de personnes jouant la carte dynastique», dénonce Bochra Belhaj Hmida. Le groupe parlementaire de Nidaa Tounès, qui comptait 86 élus, va ainsi passer sous la barre des 60 députés. Avec 69 élus, Ennahda, issu de la mouvance des Frères musulmans, devient mécaniquement le premier groupe à l’Assemblée.
Attitude coopérative d’Ennahda

Ce rééquilibrage des forces au sein de l’instance législative n’aura pourtant pas d’impact immédiat sur la stabilité de l’exécutif. Ennahda maintient son soutien à Nidaa Tounès, une coalition gouvernementale déjà effective depuis un an – alors dominante mais non majoritaire –, ayant eu besoin de compter sur des forces d’appoint. Confirmant ses bonnes intentions à l’égard du premier ministre, Habib Essid, les députés d’Ennahda ont voté, lundi, la confiance au gouvernement remanié cinq jours plus tôt.

Cette attitude coopérative du parti islamiste trouve son origine dans le souvenir amer qu’il a conservé de la tumultueuse période (décembre 2011-janvier 2014) où il avait dirigé la Tunisie dans la foulée du printemps révolutionnaire. En butte à une virulente opposition du camp «laïc» et «moderniste», qui l’accusait de complicité objective à l’égard d’une mouvance salafiste de plus en plus violente, Ennahda a fait le choix stratégique à partir de l’automne 2013 de mettre entre parenthèses son ambition de gouverner la Tunisie. Alors que les vents de la géopolitique régionale devenaient défavorables aux Frères musulmans, comme l’a illustré le violent scénario égyptien, sa priorité était de se mettre à l’abri de la nouvelle adversité en adoptant un profil bas.

Ainsi Ennahda a-t-il décidé de participer, fut-ce sur un format minimal, à la coalition gouvernementale dirigée par son ancien adversaire Nidaa Tounès au lendemain de la victoire de ce dernier aux législatives de 2014. «Etre sur le devant de la scène ne les intéresse plus pour l’instant, commente Zied Krichen, rédacteur en chef du quotidien arabophone Le Maghreb. Ils s’inscrivent dans la durée.»

La confirmation de cette coalition Nidaa Tounès-Ennahda ne signifie toutefois pas le maintien du statu quo. Car le rapport des forces entre les deux partis évolue inexorablement en faveur d’Ennahda. De ce point de vue, la présence au sein du gouvernement remanié de Habib Essid d’un seul ministre islamiste (à la formation professionnelle et l’emploi) – auquel il faut ajouter un second (à l’énergie et aux mines) lié au parti sans en être formellement membre – est trompeuse. Son influence réelle est en fait bien supérieure. «Ennahda renforce son poids politique, notamment sur le travail parlementaire», admet Walid Bennani, député islamiste de Kasserine (centre-ouest).

C’est bien ce qui inquiète les dissidents de Nidaa Tounès, alarmés de la «dérive dynastique» du parti tout autant que de son rapprochement de plus en plus ostentatoire avec Ennahda. Nombre de ces démissionnaires sont issus de l’aile gauche du parti, qui conteste la nouvelle «alliance stratégique entre deux conservatismes au détriment des progressistes», selon le mot de Bochra Belhaj Hmida. Une partie importante des transfuges rallient le nouveau mouvement que met en place Mohsen Marzouk, ex-secrétaire général de Nidaa Tounès en rupture, qui rêve de réactiver l’héritage d’un bourguibisme «moderniste». Ces reclassements en cours renforcent sinon l’instabilité, en tout cas l’incertitude autour de la transition tunisienne.

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